Pourquoi les animateurs sont-ils aussi mal payés ?

Beaucoup d’animateurs se plaignent sur les réseaux sociaux et auprès des organismes des salaires très bas qu’ils touchent lorsqu’ils travaillent en colonie de vacances. Et certains d’entre vous ont peut-être déjà entendu « de toute façon tu ne fais pas des colos pour gagner de l’argent … ». J’ai aussi entendu « les organismes s’en mettent plein les poches sur le dos des animateurs ».

Une petite explication s’impose pour tirer le vrai du faux et vous donner tous les éléments pour bien comprendre la situation actuelle.

Le Contrat d’Engagement Educatif : kesako ?

Le salaire des animateurs, aussi « bas », est permis par un cadre légal très précis, et uniquement lorsqu’on signe un Contrat d’Engagement Educatif (ou CEE).

Le CEE a été créé afin d’introduire une exception dans le code du travail, pour le personnel d’encadrement (Animateurs et Directeurs) des colonies de vacances (et plus largement des accueil collectifs de mineurs).

Le code du travail impose normalement, dans le cadre d’un contrat de travail classique, un revenu minimum aussi appelé SMIC (Salaire Minimum Inter-professionel de Croissance), à 9,67 € brut / heure ou 1 466,62 € brut / mois (en 2016).

Ce code impose également un nombre d’heures maximum travaillées, limitées initialement à 7h / jours, 35 heures par semaines. Ces contraintes horaires peuvent être modifiées par les conventions collectives des différents secteurs d’activité, permettant notamment aux infirmières et médecins de travailler la nuit, et 24h d’affilé. Bref, je ne m’attarde par sur ces détails techniques.

En clair, pour pouvoir disposer d’un animateur toute la journée, de 8h du matin à 23h voire plus, il était nécessaire d’introduire certaines exceptions (dans la convention collective de l’animation notamment).

De même, il n’était pas possible de payer un animateur au SMIC horaire au nombre d’heures effectuées (15 heures dans mon exemple). Cela nous aurait fait environ 143 € brut / jour, de quoi faire pâlir la plupart des salariés de ce pays. En effet, sur 8 jours, cela ferait plus de 1000 € brut par personne, ce qui est une somme beaucoup trop importante pour le budget global d’une colo. Imaginez (après j’arrête mes calculs), 10 animateurs, 50 enfants, c’est un coût de 200€ par enfant qu’il faudrait faire peser dans le prix d’un séjour, sachant qu’un séjour d’une semaine coûte un environ 500 € (hors aide).

Vous l’aurez compris, il fallait « limiter » artificiellement le salaire des animateurs.

Le compromis trouvé a donc été de définir :

  • un salaire minimum QUOTIDIEN égale à 2,2 fois le SMIC HORAIRE, soit en 2017 un minimum de 21,47 € par jour.
  • une durée de repos quotidien d’au moins 8h (variable selon les règles fixées par la loi, depuis 2012)
  • un nombre de jours travaillés en CEE ne devant dépasser 80 jours par an.
  • un repos hebdomadaire de 24 heures consécutives par semaine travaillée (+ 6 heures par semaine dans certains cas)

Il faut bien comprendre que ces particularités n’ont pas été mises en place en vue d’exploiter au maximum les animateurs et directeurs en les payant le moins possible, comme j’ai déjà pu l’entendre parmi mes collègues.

Ces conditions ont été mises en place pour assurer un cadre légal viable pour l’équilibre économique des colonies de vacances, et plus généralement des accueils collectifs de mineurs.

Le respect des conditions de travail reste limité, mais garanti (jours de repos, repos compensatoires). Il est certain que ce n’est pas un « job » lucratif, et qu’il s’agit avant tout d’un engagement plus qu’un « job alimentaire » (même si certains en font un job alimentaire malgré tout).

L’organisme s’en met-il plein les poches ?

Certains pensent que les organisateurs de colos font pression sur les salaires des animateurs pour dégager un maximum de marge. Rappelons d’abord les coûts que l’organisme doit supporter pour organisme dans le cadre d’une colo (et financé par le prix des colos payé par les parents) :

  • L’hébergement : la location des locaux pour dormir, se restaurer, pour faire des activités (salles d’activités)
  • Les repas : l’organisateur fixe un coût par jour et par personne pour budgeter l’alimentation de la colo. Le cuisinier se doit donc de respecter ce forfait, et d’y inclure 4 repas – le petit déj, le repas de midi, le goûter et le dîner. Ce budget est de l’ordre de entre 3 et 5 € par personne et par nuitée, selon l’âge des enfants et le nombre d’adultes.
  • Le salaire du personnel d’encadrement : salaire du directeur et des animateurs, ainsi que des prestataires d’activités s’ils sont recrutés par l’organisateur.
  • Le salaire du personnel technique : salaire du cuisinier, de son commis (le cas échéant) et des agents techniques assurant l’entretien des locaux. Eux ne signent pas un CEE, mais ont un contrat traditionnel et sont donc payés au moins au SMIC. Pas de personnel technique dans le cas d’un séjour sous tente.
  • Le matériel : matériel pédagogique basique (jeux de société, ballons, raquettes, …), papeterie, pharmacie d’infirmerie, matériel « thématique » lorsque le séjour a besoin de matériel spécifique pour proposer des activités / ateliers sur le thème, matériel pour faire la fameuse boum (sono, spots, rallonges, …), tentes et matériel de camping dans le cas d’un séjour sous tente.
  • Les activités : coût des activités effectuées par un prestataire extérieur au séjour (comprend le salaire du prestataire, ses charges, sa marge et la location du matériel). Si l’activité est proposée par le personnel de la colo, les coûts sont alors dispersés dans les autres coûts.
  • Les transports pour aller aux activités / pour voyager (camps itinérants) : le car pour aller à la piscine par exemple; parfois véhicule loué par l’organisateur, conduit par les animateurs ; parfois bus de ville ou car de ligne.
  • [Parfois] Les transports pour venir sur la colo : généralement proposés en sus du prix du séjour car il dépend de la ville où part l’enfant. Inclus pour les séjours nécessitant de prendre l’avion (à l’étranger).
  • Les frais des animateurs : frais de déplacements pour venir sur le lieu de convoyage ou sur la colo, frais de formation des animateurs en amont du séjour pour préparer la colo en équipe avec le directeur.
  • L’assurance : l’organisateur a l’obligation de souscrire une assurance responsabilité civile pour l’ensemble de ses séjours.
  • Le fonctionnement de l’organisateur : salaire des personnels permanents de l’organisateur, frais de fonctionnement de la structure (charges, impôts, …), frais de marketing et de développement commercial, publicité / catalogues, gestion du matériel, …

Certains postes de dépenses peuvent être supprimés dans le cas de séjours campés. D’autres peuvent être alourdis notamment à cause de la thématique qui peut nécessiter davantage de matériel spécifique, de faire des activités prestataires particulières, de recruter des animateurs spécialisés (rémunérés parfois plus chers).

Par ailleurs, le « taux d’encadrement » d’une colo, c’est à dire le nombre d’enfants pour 1 animateur, va déterminer le nombre d’animateurs sur la colo. Plus le taux d’encadrement sera bon (faible nombre d’enfants par animateur) plus il faudra d’animateur, et plus le poids des animateurs pèsera dans le prix de la colo. A l’inverse, si un organisateur choisi le taux d’encadrement légal (1 anim pour 12 enfants de plus de 6 ans), le prix de la colo sera moins élevé.

Enfin, parlons de la « marge » qui est le restant pour l’organisme une fois tous les frais payés. Que l’organisateur soit une association ou une entreprise commerciale, cette marge permettra de développer la structure en proposant plus de séjours, développer la partie marketing des séjours (création de catalogues, publicité, site internet, …).

Conclusion

Il est évident qu’un animateur ne pourra jamais être payé au SMIC, avec le système actuel. L’organisme reste, cependant, libre de vous payer bien plus que le salaire minimum légal ! Si certains organismes peuvent aller jusqu’à 30 voire 40 € / jour, pour un animateur ayant le BAFA complet, il est encore possible d’aller un cran plus loin. Certains organismes déploient des moyens matériels très importants et très coûteux pour « faire plaisir » aux parents, aux enfants et pour inciter les enfants à revenir l’année suivante… Je vous laisse juge de la pertinence de ces coûts, certains diront que ces sommes pourraient être versés aux animateurs plutôt que dans des choses futiles.

9 commentaires sur “Pourquoi les animateurs sont-ils aussi mal payés ?

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  1. Merci pour ces précisions. Je cherche une information que je peine à trouver.
    Saurais-tu combien coûte un C.E.E pour un employeur. Si je verse 100euros à un animateur, combien vas t’il réellement toucher ?
    Si tu as l’information, je suis en train de monter des colos… 😀
    Merci 😉

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    1. Bonjour, pour 100 € brut en comptant les charges patronales et les 10% de CP non pris, l’employeur débourse en fait environ 120 € (d’après mes calculs), mais cela dépend de la durée travaillée (ici j’ai proratisé pour 3 semaines travaillées). L’animateur quand à lui touche réellement 95 € environ.

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      1. Merci pour ta réponse.
        Je suis tombé là-dessus : https://www.urssaf.fr/portail/home/taux-et-baremes/assiettes-forfaitaires-et-franch/bases-forfaitaires-des-animateur.html
        Cela explique comment calculer. Manque de peau, c’est pas en français 😀 Ou si peu…
        Ces biens ces chiffres là que tu as utilisé pour arriver à ces résultats ?
        Cette phrase me dérange : « Lorsque la rémunération est égale ou supérieure à 1,5 plafond de la Sécurité sociale correspondant à la durée de travail, l’assiette forfaitaire retenue pour le calcul des cotisations ne peut pas être inférieure à 70 % de cette rémunération. »
        Car je compte dépenser 700 euros environ (tout compris de mon coté) par animateur pour 5 jours (ce sont des séjours de 5 jours). J’aurai voulu savoir combien ils toucheront finalement…
        (oui, pour moi, c’est important que les animateurs soient payé le mieux possible…)
        Bien à toi,
        Mickaël

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      2. Oui c’est bien ces chiffres que j’utilise pour mes calculs, ce sont les bases forfaitaires pour le calcul des charges sociales.
        Pour le plafond de la sécu, il faut que ça dépasse 280 € par jour, ce qui n’est pas ton cas.
        Pour 700€ par animateur pour 5 jours brut, d’après mes calculs, cela coûterait 830,55 € à l’employeur.
        Merci de te soucier du salaire des animateurs 🙂
        Julien

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  2. Contribution intéressante et argumentée mais il n’empêche, à l’arrivée le fait est que les animateurs ainsi que les directeurs de colonies sont payés une somme ridicule pour une amplitude horaire énorme et de véritables et lourdes responsabilités !
    Ces très maigres rétributions ne sont pas sans incidences sur la qualité, le professionnalisme du personnel engagé, immanquablement.

    Une dernière chose qui m’agace toujours un peu dans le milieu « éducatif’: le sempiternel laïus sur « l’engagement » plutôt que le « lucratif ».
    Ça c’est du vent, de l’hypocrisie quand ce n’est pas du cynisme pour certains. Nous travaillons TOUS pour gagner sa vie, gagner de l’argent: c’est pour cela que l’on travaille ! Et il n’y a pas à s’en excuser ni en rougir !

    De mon expérience dans ce milieu, j’ai toujours vu les meilleurs, les plus professionnels, assez rapidement partir déployer leurs compétences sous d’autres cieux plus lucratifs. Et ça c’est un problème, car le job d’animateur et de directeur est lourd de responsabilité.

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  3. C’est bien de parler des colonies de vacances, et je peux comprendre les arguments, mais on en parle des ALSH qui n’embauchent qu’en CEE quand on s’éloigne des grandes villes? On en parle du fait qu’il est quasiment impossible de faire une carrière dans l’animation justement à cause de ce putain de contrat? On en parle du fait qu’à 28 ans après 6 ans dans le métier et des retours plus que positifs ma seule option viable pour payer mon loyer soit de passer le BPJEPS en espérant devenir directrice alors que mon seul souhait était de rester sur le terrain?

    Alors oui Vous parlez des colos sur ce site je le comprend bien mais s’il vous plais ne sous entendez pas que le CEE est un contrat qui doit continuer à exister parce que vu la masse de travail fourni et ce MÊME par les animateurs de colonies, dire ce genre de chose c’est conforter le public dans l’idée que notre travail n’est pas un vrai travail et justifier un turn over constant dans les équipes ce qui met à mal toute réelle volonté pédagogique dans l’animation.

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    1. Bonjour, nous sommes d’accord sur le fond. L’objectif de cet article est de disposer des informations sur le pourquoi du comment pour ensuite se faire un avis critique sur le CEE et son usage. Je ne sous entend pas que le travail des animateurs n’est pas un vrai travail, et je suis d’accord sur le fait que le CEE ne reflète pas du tout la charge de travail et n’est pas du tout adapté à une pratique professionnelle.

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